Filtrer les signaux des étoiles

Victoria Kaspi
Département de physique, Université McGill
Victoria Kaspi, Astrophysicist

Victoria Kaspi, astrophysicienne

Victoria Kaspi s’intéresse aux étoiles, plus particulièrement aux pulsars, qui ont une densité incroyable. Elle veut comprendre comment une telle densité influence la matière et l’espace-temps, les principes même de la physique fondamentale.

Que sont les pulsars?

Lorsqu’une étoile supergéante a épuisé tout son combustible nucléaire, il n’y a plus assez de pression gazeuse pour contrer la gravité. L’étoile s’effondre alors sur elle-même ce qui libère beaucoup d’énergie et provoque l’explosion de l’étoile en supernova. Ce qui reste du cœur de l’étoile est si dense que les électrons et protons se combinent pour former des neutrons. Ceux-ci sont extrêmement tassés les uns sur les autres, mais chacun ne peut occuper qu’un seul espace. Cela crée une pression énorme qui empêche le cœur de l’étoile de s’effondrer davantage jusqu’à devenir un trou noir. On obtient alors une étoile à neutron qui a environ une fois et demie la masse du soleil dans un rayon de seulement 10 km, ce qui équivaut en densité à avoir le mont Everest dans une cuillérée à thé.

Un pulsar

Simulation numérique d’un pulsar

Certaines étoiles à neutrons ont un champ magnétique très élevé allant jusqu’à 12 ordres de grandeur de plus que celui de la Terre. Elles émettent un fort rayonnement électromagnétique dans la direction de leur axe magnétique. Elles tournent très rapidement sur elles-mêmes, certaines prenant quelques secondes pour faire un tour complet, d’autres quelques millisecondes. Ce faisant, le rayon électromagnétique balaie le ciel comme la lumière d’un phare. Pour un observateur, on dirait que l’étoile clignote d’où son nom de pulsar.

Parmi les étoiles à neutrons, on retrouve la sous-catégorie des « magnétars » dont le champ magnétique est 1000 fois plus intense que celui des pulsars. Celles-ci sont la source des rayons X et gamma qui sont émis au travers des craques de la croute à la surface de l’étoile.

Pourquoi les pulsars?

Certains pulsars on une période de rotation très stable, donc leur clignotement est régulier. Dans ces cas-là, le moindre délai de leur clignotement pourrait indiquer, entre autre, une modification du tissu espace-temps. Ce type de changement pourrait être provoqué par le passage de vagues gravitationnelles tel que prédit par la théorie de la relativité d’Einstein. Ces vagues seraient causées par la perte d’énergie créée par le mouvement d’objets de très grande masse dans notre univers. L’étude des pulsars binaires, qui comprennent un pulsar gravitant autour d’une autre étoile, permet donc de tester cette théorie et de prédire le comportement orbital des étoiles.

La densité extraordinaire des étoiles à neutrons affecte la nature même de la matière. La structure interne de ces étoiles est inférée à partir de la physique théorique. Tout cela est très spéculatif et l’observation de ces étoiles est nécessaire pour découvrir plus d’indices. On recherche donc des pulsars plus massifs ou avec une vitesse de rotation plus rapide qui suivraient ou non les prédictions.

Finalement, l’étude de la population des pulsars nous informera sur leur naissance et leurs interrelations avec les autres objets stellaires.

Trouver les pulsars

Beaucoup de pulsars sont détectables sur Terre grâce aux radiotélescopes. Cependant, ceux-ci ne sont pas assez sensibles pour détecter tous les pulsars des galaxies externes. On estime que les pulsars seraient au moins 10 fois plus nombreux que le nombre répertorié à l’heure actuelle qui atteint les 2000. Une façon de les repérer consiste en l’utilisation de superordinateurs pour isoler les signaux répétitifs parmi le bruit radio venant de l’univers.

Le groupe de Kaspi utilise principalement les données venant de deux radiotélescopes;
le radiotélescope de l’observatoire d’Arecibo situé à Puerto Rico, qui a un diamètre de 305 m et qui est de loin le plus grand radiotélescope à coupole unique au monde, ainsi que le Green Bank Telescope en Virginie-Occidentale qui a un diamètre de 100 m et qui est le plus grand télescope entièrement orientable dans le monde.

La bande radio captée par le télescope doit être divisée par un spectromètre en un millier de canaux de différentes fréquences enregistrés séparément et les données doivent être numérisées par tranche de temps de moins d’une milliseconde. Suivant l’application de diverses techniques d’excision d’interférence radio, les données sont analysées en utilisant la transformée de Fourier rapide qui permet de filtrer les signaux ayant une fréquence spécifique tels que ceux venant des pulsars.

Ainsi, en utilisant le superordinateur Guillimin, l’équipe de Kaspi a découvert 43 nouveaux pulsars en 2012 (et une douzaine de candidats prometteurs en lice). De ceux-ci, 9 ont une rotation de l’ordre de la milliseconde. Étant donné qu’avant 2012, il y avait 97 pulsars galactiques connus avec une rotation de l’ordre de la milliseconde, Guillimin, à lui seul et en moins de 9 mois, a trouvé près de 10% de la population identifiée depuis les années 1980!

Découvertes de l’équipe de Kaspi

L’équipe de Kaspi a fait plusieurs observations importantes. Entre autres, elle a découvert le pulsar à la vitesse de rotation la plus rapide connue (716 Hz). Elle a aussi observé le pulsar qui se trouve dans la constellation du Sagittaire, précisément au centre de la supernova qui avait été observée en 386 après J.-C. par les Chinois. Cette dernière observation a remis en question les méthodes antérieures de datation des jeunes pulsars par leur vitesse de rotation.

Elle a permis d’établir le lien entre les pulsars et les magnétars en faisant la démonstration que les pulsars à rayons X atypiques montrent des propriétés attribuables aux magnétars.

Mentionnons finalement que, avec son équipe, elle a observé dans un système de 2 pulsars une éclipse produite lorsque les ondes radio émissent par l’un des pulsars ont été absorbées par la magnétosphère du second pulsar. Ceci a permis d’investiguer la structure de la magnétosphère ainsi que les propriétés du plasma d’un pulsar. Ces observations ont, de plus, permis de vérifier une partie de la théorie générale de la relativité d’Einstein.

Souhaitons-lui encore de belles découvertes grâce à l’allocation de ressources obtenue pour 2013.